Approuvé par le Département de l'information synodale de l'Eglise Orthodoxe Russe
Le numéro du certificat 190 du 2 Décembre, 2011

Une analyse des événements liés à Charlie Hebdo

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Une analyse des événements liés à « Charlie Hebdo » par le père Georges Maximov, prêtre à Moscou.

 Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article du père Georges Maximov, prêtre missionnaire et enseignant à Moscou, dans lequel il analyse les événements liés à l’attentat contre « Charlie Hebdo » et exprime son point de vue sur le Communiqué publié au nom de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France. Cet article a été publié sur le site orthodoxe russe pravmir.ru.

 « Ce qui a précédé :

 Lorsqu’on s’est adressé à moi en me demandant de commenter l’événement, il m’a fallu l’analyser et, en partie,  faire connaissance des « œuvres » des caricaturistes assassinés. Comme cela s’est avéré, ceux-ci ont consacré leur vie à se moquer publiquement de tout ce qui est sacré pour les gens vivant avec eux dans le même pays. Plus que tout, ils ont attaqué le christianisme. Sur leurs couvertures, ils représentaient des blasphèmes dépassant toutes limites, à un degré de répugnance que ne s’étaient même pas permis les combattants professionnels de la religion en URSS. L’Islam a été beaucoup attaqué, et la moquerie était si ouverte et débridée que les caricatures danoises de 2005, qui ont fait tant de bruit, semblent dans ce contexte être des bagatelles. Pour « Charlie Hebdo », rien n’était saint – étaient exposés à la moquerie non seulement les concepts et les symboles religieux, mais aussi, par exemple, l’amour parental, l’amour filial, l’amour conjugal. Le journal diffusait de véritables obscénités.

 Cela ne signifie pas qu’il faille approuver ou justifier l’acte de terrorisme qui a eu lieu contre eux. Mais il faut avoir le courage maintenant, alors que tout le monde « progressiste » crie : « Je suis Charlie » et regarde d’un air menaçant ceux qui ne crient pas avec eux, de reconnaître que la tragédie survenue à Paris constitue une conséquence de la voie que la rédaction de ce journal avait choisie. Si, en tant qu’ « expression artistique » vous choisissez de sortir dans la rue et de cracher sur le visage des passants, ce ne sera pas étonnant si tôt ou tard l’un de ceux-ci vous assène un coup. Si votre occupation consiste à vous moquer de ce qui est cher à quelqu’un, il apparaîtra tôt ou tard un homme qui vous dira un jour « cela suffit ! », et peut-être ne le dira pas seulement, mais se vengera.

 En 2011, la rédaction du journal avait déjà reçu un avertissement : les musulmans avaient déclenché une explosion près de l’entrée des locaux de la rédaction de « Charlie Hebdo ». L’explosion était organisée de telle façon qu’il n’y a pas eu de victimes. En réponse, la rédaction a obtenu une protection policière et, avec un enthousiasme renouvelé, a entrepris de se moquer de l’Islam. Je décris quelques exemples : sur l’une des couvertures est représenté un musulman qui tente en vain de se protéger des tirs par un exemplaire du Coran, les balles traversent le livre, et le musulman blessé prononce un mot obscène. Sur une autre couverture est représenté Mohamed, dont le visage enturbanné rappelle des organes génitaux masculins.

 En tant que chrétien, je ne considère pas Mohammed comme prophète. Et, par conséquent, je considère l’Islam comme une erreur qui ne peut donner le salut à l’homme. Mais jamais je n’approuverai une telle moquerie cynique et vulgaire concernant les musulmans et leur foi. Et à leur sujet, le père Daniel Sysoiev s’est prononcé en son temps contre les caricatures danoises. Je peux comprendre que l’on mette le doigt, de façon documentée, sur des problèmes réels, comme c’était le cas des films européens « Fitna » et « Soumission ». Mais ce dont s’occupait « Charlie Hebdo », c’était la moquerie pour la moquerie, la haine pour la haine. Il n’y a pas de place pour cela dans une société civilisée. Non par crainte que quelqu’un vienne et tue, mais pour des raisons de normes élémentaires de correction. La société qui considère comme normale la moquerie consciente envers ce qui est cher aux autres personnes, est une société malade. Et elle est vouée à des événements comme l’attentat terroriste à Paris. Je ne justifie en aucun cas ceux qui tuent les gens. Et je souhaite sincèrement que les services spéciaux français enquêtent efficacement et qu’ils préviennent à l’avenir de telles actions terroristes. Mais il faut commencer par les causes et avoir le courage de voir la racine du problème.

 Toutes ces masses populaires qui sont sorties le 7 janvier avec des placards « Je suis Charlie » auraient agi plus honnêtement si, au lieu de cela, elles avaient tenu des pancartes portant « Je suis coresponsable de la fusillade de Charlie ». Et cela concerne particulièrement les lecteurs de l’hebdomadaire.

 Si, dans la société française, le blasphème et la moquerie envers les autres avait été considérés comme inacceptables et incorrects, alors « Charlie Hebdo » aurait fermé ses portes en raison de l’absence de lecteurs, et son rédacteur et autres collaborateurs auraient trouvé une autre occupation, peut-être, plus digne. Et ils seraient maintenant encore en vie.

 Ce qui a été après :

 Comme on le sait, la société française a tiré des conclusions tout-à-fait autres. Elle veut prouver cela : « les terroristes ne peuvent nous effrayer » et, pour cette raison, hormis tous ces cortèges de soutien, il a été annoncé que le numéro ordinaire de l’hebdomadaire sortirait à un tirage d’un million d’exemplaires, et que la dérision à l’encontre de l’Islam continuerait. C’est la première chose ; la seconde est qu’il faut augmenter les mesures de sécurité. En d’autres termes, la société française répète exactement ce qu’a fait a rédaction de « Charlie Hebdo » après l’incident de 2011. Le résultat de cette ligne de conduite, nous le connaissons. Or, les Français aiment beaucoup retomber dans les mêmes erreurs. On voudrait dire à tous les milliers de gens qui défilent avec les affiches « Je suis Charlie » : « Enfants, pensez-y une minute, cinq millions de musulmans vivent chez vous. Êtes-vous réellement certains que votre aspiration à continuer à vous moquer de celui qui leur est cher, assurera à votre pays la paix et la sécurité ? Que toutes vos marches et cortèges, c’est ce qui les forcera à se calmer et à considérer la moquerie cynique et ordurière à l’encontre de leur foi comme quelque chose de normal et d’acceptable ? » Douze morts à la rédaction de l’hebdomadaire, puis quatre dans un magasin, en tout seize victimes. Cela n’est-il pas un prix trop élevé pour la volonté de certains de se moquer des autres ? Combien de vies encore êtes-vous prêts à sacrifier pour garantir à ce pays, la « liberté » de la dérision et de la moquerie ?

 Au demeurant, laissons les Français tranquille. C’est leur pays, leur vie, s’ils veulent cheminer sur cette voie, c’est leur choix et leur droit.

 Mais ce qui s’est produit à Paris a ébranlé notre propre société, « notre » non seulement dans le sens de « russe », mais également dans le sens d’orthodoxe. Et il est nécessaire d’en parler plus en détails.

 Le jour même de Noël [selon le calendrier julien, ndt] l’Assemblée des évêques orthodoxes de France a publié un communiqué condamnant l’attaque contre la rédaction du journal satirique « Charlie Hebdo ». Bien qu’il ait été déjà publié, je le reproduis en entier : « Les évêques orthodoxes de France condamnent avec la plus grande fermeté l'attentat ignoble et barbare perpétré sur le sol national aujourd'hui, en plein cœur de Paris. De surcroît, cet acte visait des personnes innocentes qui se réunissaient dans le cadre d'une conférence de rédaction d'un média national et donc, par ce biais, était visée la liberté de la presse et d'expression, une des libertés fondamentales de notre République. Cet attentat abject cherche à semer la terreur, le doute et la division. Il appelle donc, aujourd'hui, plus que jamais, les différentes composantes sociopolitiques et religieuses de notre pays à clamer haut et fort l'unité et la cohésion nationales face à la barbarie et à réaffirmer, avec les autorités publiques de notre pays, la primauté du vivre ensemble dans le respect de l'ordre public républicain et ce, sur toutes autres considérations. Il convient également de rester extrêmement vigilant pour faire échec ensemble à toutes les tentatives d'instrumentalisation de la religion à des fins politiques et terroristes. Aucune religion ne peut accepter de verser aussi lâchement le sang des innocents. Les évêques orthodoxes de France expriment leur plus profonde solidarité et compassion avec toutes les victimes et les personnes touchées ou meurtries par cet attentat et avec leur famille ». C’est-à-dire que les évêques orthodoxes de France n’expriment ni plus ni moins que leur solidarité la plus profonde avec des blasphémateurs et des sacrilèges qui, d’une manière répugnante, se moquent de la foi chrétienne. Et ils appellent encore cette moquerie « l’une des libertés fondamentales de notre République ».

 On se rappelle les paroles bibliques : « Que n'avez-vous gardé le silence? Vous auriez passé pour avoir de la sagesse » (Job XIII, 5).

 Il est fort peu vraisemblable qu’un communiqué publié aussi rapidement ait été réellement discuté en détails et convenu par tous les dix évêques qui font partie de cette Assemblée, d’autant plus que certains d’entre eux vivent hors des frontières de la France. Très probablement, ce texte a été concocté à la hâte dans les bureaux du métropolite Emmanuel (Église de Constantinople) qui, précédemment aussi, a utilisé l’Assemblée pour réaliser ses propres initiatives. Je ne serais pas étonné si la majorité des membres avaient pris connaissance de cette déclaration par les médias. Néanmoins, aucune réfutation de qui que ce soit ne s’en est suivie.

 Au début, j’ai pensé : probablement, S. E. le métropolite Emmanuel et d’autres personnes qui ont participé à l’établissement de ce texte, ne sont pas au courant du type de journal dont il s’agit, de ce que celui-ci représentait précisément. Mais ensuite, je suis tombé, dans un site orthodoxe russe, sur l’article d’un laïc orthodoxe actif en France qui, naturellement, se prononçait pour la défense des caricaturistes tués, indiquant tranquillement qu’il était un lecteur régulier de « Charlie Hebdo ». Il reconnaît que les collaborateurs de cet hebdomadaire sont censés pratiquer un « humour froid », mais que finalement, il n’y a rien de terrible, que c’est quoi qu’il en soit une tradition française, que les journalistes avaient en vue, en réalité quelque chose d’autre, etc.

 Je le dis honnêtement : cela n’entre pas dans mes conceptions. Peut-on être homme d’église tout en lisant tranquillement un journal contenant des blasphèmes qui dépassent toutes les bornes envers Celui que vous priez, que vous appelez votre Sauveur et votre Créateur ?

 Je me rappelle à quel point on a condamné le métropolite Serge (Stragorodsky) pour avoir signé la déclaration tristement célèbre [de loyauté envers l’État soviétique, ndt]. Mais, à tout le moins, on le menaçait, dans le cas contraire, de tuer un grand nombre d’évêques. Mais qu’est-ce qui menaçait les évêques orthodoxes français ? Les aurait-on jetés en prison et fusillés s’ils s’étaient tus à ce moment ? Ou pour s’être limités à de simples condoléances pour les personnes qui ont été tuées, si l’on voulait déclarer quelque chose, tout en n’exprimant pas de solidarité avec le blasphème ? Ils n’auraient pas été fusillés pour cela. Alors, pour quelle raison se sont ils solidarisés avec le blasphème envers le Christ ? Simplement pour être fréquentables ?

 Et une information est venue encore après cette bacchanale continuelle. Le 9 janvier, en la cathédrale orthodoxe russe de Nice, un court office de requiem a été célébré par l’archimandrite Alexandre (Elissov) pour les membres décédés du Comité de rédaction de « Charlie Hebdo ». On a chanté « Fais reposer avec les saints » pour de véritables blasphémateurs, des gens qui combattent contre Dieu. On ne peut plus trouver les mots pour commenter cela. Après un tel office, il est temps de consacrer à nouveau la cathédrale.

 Et je crains, et maintenant je sais, ce que me répondront les Français à la question susmentionnée : « Croyez-vous vraiment que vous pouvez amener les musulmans qui vivent chez vous à considérer la moquerie cynique et ordurière à l’encontre de leur foi comme quelque-chose de normal et d’acceptable ? » N’importe quel Français peut me rapporter les faits ci-dessus évoqués et me dire : « Vous voyez, on y est arrivé avec les orthodoxes».

 Il faut aborder encore plus en détails le pathos principal qui transparaît aussi dans « la déclaration de l’Assemblée des évêques » - nous devons être solidaires avec « Charlie Hebdo » afin de défendre la liberté d’expression. C’est-à-dire que cette dérision, cette moquerie intentionnelle vis-à-vis de ce qui est cher aux gens, s’avère être la liberté même de parole, pour la défense de laquelle nous devons tous nous unir. Celle-ci serait prétendument une valeur immuable.

 Mais alors on pourrait aussi, si on le souhaite, inscrire l’acte terroriste des frères Kouachi dans « la liberté d’expression ». Ils ont également défendu la liberté, celle de punir le blasphémateur. Votre « liberté de blasphémer publiquement » a pour fondement des documents internationaux qui ont pour vous de l’autorité ? Mais leur « liberté de tuer celui qui blasphème » est fondée sur d’autres documents qui, entre autres, ont de l’autorité pour un cinquième de la population du globe terrestre.

 On assiste maintenant en France au choc de deux libertés : celle de se moquer et celle de tuer. Et on nous propose à nous, orthodoxes, de prendre parti pour l’un de ces deux côtés. « La peste soit dans vos deux maisons ! » Ceci est un mal, cela est un autre mal. Le chrétien ne choisira aucun des deux côtés, et ne définira pas lequel des deux maux est le moindre, car en choisissant le moindre des deux maux, il choisira toujours un mal.

 Les auteurs de la « déclaration des évêques de France » affirment que l’acte terroriste contre « Charlie Hebdo » est un acte « barbare ignoble et lâche ». Je suis d’accord. Mais ce que l’on a imprimé dans « Charlie Hebdo » n’est-il pas un acte « barbare ignoble et lâche » ? Les auteurs affirment que l’on ne peut invoquer la religion pour faire couler le sang. Je suis d’accord. Mais peut-on invoquer la liberté d’expression pour se moquer de ce qui est cher aux autres gens et traîner les choses saintes dans la boue ? N’est-ce pas là un abus de la liberté d’expression ? 

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Иерей Георгий Максимов

иерей Георгий Максимов, кандидат богословия, преподаватель, член Межсоборного Присутствия Русской Православной Церкви

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